Re: Articles du Web
Publié: Mer 3 Août 2011 14:26
Voici une chronique sur la saison 7:
Docteur House, saison 7 : La drogue n’est pas une solution. La vie non plus
Produire une œuvre de qualité, c’est bien. Faire en sorte que cette œuvre soit accessible au plus grand nombre, c’est encore mieux. Et à ce petit jeu, qui consiste à intégrer le caractère populaire qu’exigent les impératifs commerciaux à la structure de projets artistiques ambitieux et significatifs, les Anglo-Saxons se distinguent par un savoir-faire remarquable. « House », évidente et néanmoins géniale réécriture du Sherlock Holmes de Sir Arthur Connan Doyle (précédant le très réussi « Sherlock » du vénérable et vénéré Steven Moffat) en est un parfait exemple. Ce véritable blockbuster de la télévision mondiale brille en effet aussi bien par la profondeur discrète de son écriture et sa réalisation que par l’efficacité de sa formule, tandis que son protagoniste phare se distingue tant par sa complexité que par sa répartie jubilatoire, propre à ravir le plus grand nombre. Toutefois, les Aventures de Sherlock House et de son fidèle docteur Wilson, à l’antenne depuis maintenant 7 ans, constituent bien plus qu’une bonne série, parce que leur thème central, celui du désespoir de son personnage principal, écorché comme une chanson d’Eliott Smith ou de Cat Power, a quelque chose de fondamentalement bouleversant.
Attention : Même si vous ne trouverez ici aucun spoiler frontal du type « en fait dans le Sixième Sens, Bruce Willis est mort depuis le début », la chronique qui va suivre abordera des éléments de l’intrigue de cette saison 7.
Après une saison 6 mi-figue mi-raisin, qui aura commencé par le meilleur – notamment le formidable épisode introductif, « Broken », qui aurait été une conclusion tout à fait plaisante à la série -, se sera poursuivie avec des fortunes diverses en essayant d’imposer non sans une certaine maladresse l'inéluctable perspective d’une relation House/Cuddy comme storyline centrale, avant de se terminer un peu en eau de boudin, avec un final décevant et une happy end mal amenée, cette saison 7 était attendue au tournant. Et pour être clair, même si les audiences de la série ont continué à décliner Outre-Atlantique, et bien que l’usure du temps se fasse réellement sentir sur le dynamisme de la série, ce cru 2010-2011 de House s’est en fait avéré très satisfaisant. Les scénaristes ont beaucoup tenté, se sont plantés parfois, mais globalement il en ressort une vraie cohérence. Quand je parle de cohérence, je ne me réfère pas à l’intérêt aléatoire des intrigues secondaires, ni à la plausibilité des cas médicaux (relégués au second plan depuis un petit moment déjà). Non, ce qui est appréciable si l’on peut dire, c’est qu’on aura pu assister à une étape de plus du cheminement inexorable de Grégory House vers un crash annoncé, vers une autodestruction qu’on devine inévitable depuis le début. Ceux qui voient en ce med show apparemment anodin une sorte de déclinaison des Experts en milieu hospitalier passent en effet à côté de l’essentiel : ce qui est traité, c’est l’inaptitude d’un individu à jouir d’une vie de plein exercice, et l’enjeu principal de cette histoire est la gestion de cette douleur de (mal-)vivre par l’être concerné.
Comme Walter White dans Breaking Bad, House est un homme qui fonce dans le mur en toute connaissance de cause. Et tout comme lui, il adopte cette attitude radicale en réponse à l’absence d’alternatives. La différence notable et poignante entre les deux, c’est que l’absence de viabilité de l’existence du diagnosticien surdoué ne découle pas - en majeure partie - d’événements ou de facteurs externes (comme par exemple l’apparition d’une maladie incurable conjuguée au minable système de santé étasunien), mais est directement liée à la personnalité, à la manière d’être de celui qui en souffre : rien (pas même sa jambe infirme) ni personne (pas même son père abusif, certes déterminant mais dont la série nous a montré qu’il avait su s’affranchir depuis longtemps) ne l’empêchent concrètement d’essayer de se sentir bien. Il ne sait simplement pas faire. C’est quelque chose qui lui échappe, qu’il ne maîtrise pas. Et c’est sans doute pour cette raison qu’il s’efforce de maîtriser tout le reste, à commencer par les autres, auxquels son accès se borne à la manipulation, au défi. Et si House est incontestablement un génie, c’est aussi indéniablement un con, parfois par dépit et souvent par aigreur.
Si la fantaisie de la série et sa drôlerie omniprésente, y compris dans les storylines concernant les autres membres de l'équipe, lui permettent de ne jamais tomber dans le déprimant (comment le pourrait-on broyer du noir en assistant au mariage blanc de House, en observant l'embarras d'un Chase se retrouvant à poil sur Facebook ou en se surprenant à apprécier l'agaçante et niaise petite nouvelle campée par Amber Tamblyn), il n'en demeure pas moins que le téléspectateur sait pertinemment au fond de lui que ce type là, que ce périple là, ne peuvent intrinsèquement pas connaître de fin heureuse.
Dans le récit de cette impasse, l’année écoulée occupe une place charnière, parce qu’elle entérine un constat que le héros considère comme limpide depuis toujours : il ne suffit pas de souhaiter quelque chose pour l’obtenir. You Can’t Always Get What You Want. Ce véritable leitmotiv est mis explicitement en avant dés le pilote, c’est le cœur du propos de la série. Et il est réaffirmé durant cette septième année avec une cruauté d’autant plus implacable que la possibilité illusoire d’une éclaircie avait été entrevue. Une rédemption en fait, le show se nourrissant en filigrane (et pas que) d’abondantes références religieuses qui alimentent sa réflexion existentielle. Cette saison offre ainsi un détonnant mélange de légèreté et de noirceur, qui est la marque de fabrique de la série.
A vrai dire, les choses avaient pourtant plutôt bien commencées dans cette saison 7, ce qui suit une progression logique. Après avoir touché le fond à force d’excès, s'étant au passage pris dans les dents deux décès consécutifs :celui d’Amber d’abord - dont il est soi disant responsable -, celui de Kutner ensuite - qui lui rappelle douloureusement que son sens de l'anticipation n'est pas infaillible- en fin de saison 5, House manifeste une réelle envie de s'en sortir, ce qui aboutit à son internement volontaire - littéralement, on est alors dans « Breaking Mad » - et à la volonté affichée d'en finir avec sa dépendance à la Vicodin. Cette aspiration à aller mieux semble dans un premier temps se confirmer lors de la saison suivante, et trouver sa récompense avec la concrétisation de la relation House/Cuddy. Le « Huddy » occupe donc évidemment la saison 7, et est traité avec une finesse qui n'était pas forcément acquise d'avance. Avec Cuddy, House est un apprenti adulte effrayé à l'idée de ne pas être à la hauteur, mais aussi et surtout de s'exposer à autrui. Cela donne des scènes plutôt attachantes, particulièrement lorsque Rachel, la fille de Cuddy, est impliquée. House doit s'occuper d'un enfant alors qu'il n'a pas terminé d'en être un. Et le pire, c'est qu'il ne s'en tire pas si mal ! On assiste à des moments très savoureux, tels qu'un baby-sitting avec Wilson qui tourne mal ou encore une tentative - réussie! - de « rééducation » s'inspirant des méthodes utilisées avec les chiens. Oui, nous sommes dans « Docteur House », donc même ce qui est attachant est très tordu.
Le problème, c'est que même avec toute la bonne volonté du monde, les gens ne changent pas. Et ce n'est pas moi qui le dit. Cette réalité va malheureusement finir par remettre en cause petit à petit les progrès réalisés, ce qui va entraîner une réaction en chaîne conduira, en fin de saison 7, à un quasi retour à la case départ pour ce cher Greg. Je dis « quasi » car en fait c'est bien pire : non seulement sa tentative d'ouverture aura échoué, mais en plus, il savait d'une certaine façon dés le début que cela ne pouvait pas marcher. Il a donc été sot. Ce qui est tout simplement la pire chose concevable pour quelqu'un qui mise tout sur sa propre lucidité. Nous voici donc dans « Breaking Sad », bien loin du sourire affiché par le doc à sa sortie de désintox. Sa réalité est extrêmement violente : la drogue ne marche pas, mais la vie non plus. Une telle impasse ne peut que produire une « explosion » en bonne et due forme, qui surviendra -et de quelle manière !- au terme d'un season finale qui marque le choix délibéré d'un passage du Coté Obscur de la Force, c’est-à-dire l'assumation totale du « Dark Passenger » housien.
Tout cela annonce une conclusion assez grandiose lors de la prochaine saison, qui sera probablement la dernière. Certes, elle ne comptera que 18 épisodes et subira un certain nombre de restrictions, mais si la série parvient jusqu'au bout à conserver son inimitable ton doux-amer, son talent pour mélanger le tragique et l'absurde, le grave et le burlesque, alors le mot de la fin devrait être à la hauteur. De toute façon, il ne peut rien arriver à une série qui aura réussi à rendre Olivia Wilde utile entre deux tournages de films plus ou moins bons et deux couvertures de magazines masculins pour exposer son « talent ». La présence de numéro XIII dans le dernier quart de la saison est même un gros point positif et la dynamique de sa relation avec House y est extrêmement prometteuse. Un vrai miracle ! A ce compte là, on aurait presque pu se laisser aller à espérer qu'Hugh Laurie, comme d'habitude éblouissant de justesse et de subtilité, soit enfin récompensé d'un Emmy Award. Mais bon, une règle tacite stipule que les Emmy sont strictement réservés aux séries qui se la pètent. Peut-être sera-il enfin récompensé au moment où le show tirera sa révérence. Qui sait ? L'espoir fait vivre, parait-il. Enfin, mon petit doigt me dit que le Docteur House n'est sûrement pas de cet avis...