Dr House : les secrets de tournage de Greg Yaitanes - House-fr.com

Réalisateur, producteur exécutif, Greg Yaitanes est depuis de nombreuses années un collaborateur particulièrement impliqué sur la série Dr House. Le metteur en scène vient ainsi de fêter sa trentième réalisation et, à cette occasion, a choisi de prendre le temps d’analyser tout le travail fourni depuis 8 saisons.

Dans une longue interview accordée à la Directors Guild of America, Yaitanes explique ses méthodes de travail, ses partis pris artistiques, ses expérimentations, et s’attarde notamment sur les particularités techniques de l’épisode 8×11 Nobody’s fault, qu’il considère comme le plus abouti de la saison (attention aux spoilers).

Nous vous proposons ici une traduction de l’article que vous pouvez retrouver en intégralité en anglais sur le site de la DGA.

 

L’épisode 8×11 Nobody’s fault

30 épisodes de Dr House au compteur de Greg Yaitanes, plus que n’importe quel autre metteur en scène ! Le dernier en date est le onzième épisode de la saison 8, intitulé Nobody’s fault. Selon le destin que connaîtra la série, il pourrait bien s’agir de sa dernière réalisation, alors Yaitanes tente de savourer au maximum. « Cet épisode est mon préféré, surtout après avoir été là aussi longtemps et se dire qu’il s’agit peut-être de mon dernier épisode » explique-t-il avec une pointe de nostalgie. « Si c’était la dernière réalisation de ma carrière, j’en serais pleinement satisfait.». […]

Dans cet épisode, les méthodes de diagnostique imprudentes de l’équipe sont remises en question. L’un de leurs tours les plus insensés a abouti à une tragédie et fait maintenant l’objet d’une enquête menée par le Dr Walter Cofield, interprété par Jeffrey Wright […]. Yaitanes a souhaité que Wright endosse ce rôle dès qu’il a pris connaissance de l’histoire, et Wright a donné son accord avant même que le script ne soit terminé, se basant sur le visionnage de quelques épisodes dirigés par Yaitanes. Une scène clé de l’épisode met en scène Cofield qui interroge House et son équipe. Bien que les questions de Cofield soient minutieuses et suivent la chronologie des événements, les réponses ne le sont pas, chacune étant formulée par un membre différent de l’équipe.

La scène aurait pu aisément faire l’objet d’un montage qui aurait mis en scène les échanges entre Wright et le reste du casting, via un procédé classique de champ-contrechamp. Mais Yaitanes a proposé un système plus ingénieux et plus malin. « Je me suis dit que ce serait une belle opportunité de donner d’emblée une identité particulière à l’épisode » explique-t-il. « J’ai dit aux scénaristes de s’assurer que cette scène soit exactement telle qu’ils le souhaitaient, car ça ferait l’objet d’un plan séquence [une scène filmée en un seul plan et restituée telle quelle] ». Yaitanes a ainsi aménagé le plateau et placé des rails circulaires autour du bureau de Cofield en train d’interroger l’équipe. La caméra tournait autour d’eux, montrant tour à tour Wright puis Odette Annable, revenant ensuite à Wright puis passant à Charlyne Yi désormais installée dans la chaise d’Odette Annable, puis revenant à nouveau sur Wright avant de trouver Peter Jacobson sur la chaise, puis Hugh Laurie.

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Ce jeu de chaises musicales télévisuel nécessita que Yi et Jacobson s’accroupissent sous la table tandis que la caméra se déplaçait, puis refassent surface et prennent leur nouvelle position lorsque la caméra était sur Wright. Les accessoiristes symbolisaient le passage du temps en surgissant de derrière la caméra tournante pour ajouter et enlever des tasses et des lampes du bureau. Cette mise en scène avait un aspect comique, comme une invention de Rube Goldberg qui aurait pris vie [Rube Goldberg était un dessinateur comique américain qui créa notamment un personnage de savant fou qui inventait des machines particulièrement complexes pour réaliser des tâches simples], mais au final le résultat s’avère éblouissant et dramatique.

« Je savais que si on y arrivait, tout le monde dirait que l’effet rendu est génial, alors même qu’aucune amélioration via ordinateur n’a été nécessaire. » Yaitanes se dit ainsi fier de travailler d’une façon très économique : « Sur le tournage d’un film, la réalisation de cette scène aurait pu prendre une journée entière » fait-il remarquer, alors qu’il ne lui en a coûté que deux heures. […].

 

La prise de pouvoir

Avant de travailler à plein temps sur House, Yaitanes était un réalisateur indépendant et avait réalisé des épisodes de Lost, Heroes, Damages, Bones (dont il a dirigé le pilot). Il dirigea le cinquième épisode de la première saison de House puis remporta un Emmy pour l’épisode de la saison 4 House’s Head. Lorsqu’il fut engagé en tant que directeur-producteur au début de la sixième saison, Yaitanes se donna pour objectif d’assainir la série.

Le show avait à cette époque la réputation d’allonger les heures, adoptant un rythme de travail très lent, et Yaitanes était désireux d’y remédier. « Je me la suis joué à la Brubaker » s’amuse-t-il en clin d’œil à ce film de 1980 mettant en scène Robert Redford dans le rôle d’un directeur de prison qui décide de réformer le système. « J’avais remarqué chez certains une forme de suffisance consistant à dire « On bosse sur une série qui fait un carton, alors on peut faire ce qu’on veut »». Il a ainsi surpris des membres du staff qui, plutôt que de travailler, se reposaient et faisaient des mots croisés. Un quart des effectifs furent alors remerciés par Yaitanes. « Je suis devenu impopulaire mais une fois que les gens ont pris conscience qu’ils pouvaient désormais être chez eux à des heures décentes, rentrant chez eux pour le dîner du vendredi soir plutôt que de devoir travailler jusqu’à 2h du matin le samedi pour boucler le planning, on a commencé à retrouver une cohésion. » Pour accélerer le tournage Yaitanes demanda notamment aux décorateurs de créer des cloisons amovibles pour rendre plus aisée la prise de vue sous différents angles ; les spots furent également accrochés à des chaînes motorisées permettant de les déplacer et d’accélérer les réglages lumière.

Robert Scott, le premier assistant réalisateur remarque : « Il a ramené la journée de tournage à 12 heures quotidiennes, si ce n’est pas moins. Cela permet de garder les équipes techniques et le casting heureux, en bonne santé, reposés et ainsi capables de donner le meilleur d’eux-mêmes. Greg est très exigeant mais c’est également un vrai soutien pour ceux qui l’entourent. […] Yuko Ogata, le second assistant, ajoute : « Dès le tout début du processus de préparation de l’épisode, Greg partageait ses idées et avis avec les différentes équipes. Il était conscient de la complexité et de la coordination nécessaires pour parvenir à accomplir un épisode, une journée de tournage, une scène. Il nous donnait donc l’information dont nous avions besoin pour être tous coordonnés et ainsi éviter que tout s’écroule à la dernière minute ».

Petit à petit, Yaitanes fut capable d’alléger le planning. « On a traqué le temps, on a continué à tenir un journal de bord et à se demander où on pouvait économiser cinq, deux ou une minutes. On est parvenu à terminer la saison 18 jours plus tôt que pour les saisons précédentes. […]

 

Les méthodes de travail

Yaitanes se félicite du soutien et de la liberté créative qu’ont les réalisateurs qui viennent travailler sur la série. « L’une des frustrations que j’ai expérimentées en tant que réalisateur indépendant, notamment sur des séries qui étaient à l’écran depuis plusieurs années, c’était cette idée que « On ne fait pas comme ça ici !  » ». « J’ai toujours considéré que ça aboutirait à la fin de la série, car ça revient à résister à l’évolution. Ici nous donnons aux réalisateurs beaucoup d’espace. Ce sera toujours un épisode de House, on a l’hôpital et Hugh, mais on veut qu’ils approchent chaque épisode comme si c’était leur propre film.

Dans le cas de Matt Shakman, qui a dirigé l’épisode centré sur Chase (le 8×12), les instructions que je lui ai données étaient les suivantes : « Considère cet épisode comme un pilot de série sur Chase ». Il faut conserver l’identité de la série mais s’ils laissent le script leur parler et se positionnent comme des réalisateurs de film, alors ils peuvent pleinement réussir ».

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Le sens de l’organisation de Yaitanes (ci-dessus entouré par Robert Scott et Gale Tattersall) est à l’origine d’une autre innovation. « Il a mis en place des réunions créatives » explique Scott. « On réunit tous les départements créatifs – directeur de la photographie, costumiers, décorateurs – et on discute de la façon dont la lumière affectera les vêtements, comment les accessoires diront quelques chose sur les personnages, etc. C’est un truc que je n’ai jamais vu sur une série, et c’est un des éléments qui hissent House à un niveau supérieur ».

En ce qui concerne la direction des acteurs, Yaitanes se montre plus discret et s’impose moins qu’auprès des équipes techniques. « Je travaille de la même façon avec les acteurs, que je bosse ou non depuis longtemps avec eux. J’interviens juste sur des petites choses, je leur demande juste quelques ajustements. » Il valide le casting pour chaque épisode mais s’en remet aux équipes en charge de la distribution des rôles pour trouver les bons acteurs.

Evidemment, diriger des acteurs peut-être très simple lorsque la star est Hugh Laurie. « Je compare Hugh Laurie à Babe Ruth [ancien joueur de baseball américain] » s’amuse Yaitanes. « Il ira sur sa base, pointera l’endroit vers lequel il veut envoyer la balle et il la frappera si fort qu’elle ira au-delà du terrain. Il est l’acteur avec lequel j’ai le plus travaillé, nous avons donc une réelle facilité à communiquer ».

 

Les épisodes un peu particuliers

Bien qu’il affirme ne pas aimer la démarche consistant à vouloir être à tout prix original sans autre but, les épisodes qu’il identifie comme ses préférés sont tous des épisodes formellement très ambitieux. Outre House’s Head et Nobody’s fault, il cite ainsi Bombshells et Help Me. […]

Au sujet de Bombshell, Yaitanes résume ainsi son expérience : « Ca m’a permis de me confronter à des genres que j’aurais pu ne jamais avoir l’occasion d’aborder au cours de ma carrière. C’était une démonstration de tout le talent des équipes, de la recréation d’une scène de Butch Cassidy à une version sitcom de House en passant par une scène de comédie musicale à la Bob Fosse. C’était un épisode vraiment cool. »

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 Help Me était un exercice beaucoup plus violent. […] Yaitanes était parvenu à créer un univers de chaos pour rendre compte de l’horreur et de la claustrophobie, et l’agencement très étroit des décors ne permettait pas d’utiliser les caméras et lumières habituelles. L’épisode fut donc filmé avec un Canon 5D, une camera digitale disponible dans le commerce. Comme le souligne le directeur de la photographie Gale Tattersall, « nous avons été les premiers à filmer une série télévisée de network avec ce type de matériel et ça a ouvert les yeux sur les possibilités futures ».

« A notre insu, on a démontré que les choses pouvaient évoluer » ajoute Yaitanes. « On en est arrivé à ça car on cherchait une solution pour raconter cette histoire. On voulait que le casting expérimente la sensation d’être pris au piège. Nous ne voulions pas construire des décors en fonction de la caméra. On est parvenu à créer une réelle intimité. »

Yaitanes explique sa capacité à faire de tels épisodes, à prendre des risques, par son étroite collaboration avec les scénaristes Garrett Lerner et Russel Friend, qui ont co-écrit House’s Head, Help Me et Nobody’s fault. La plupart des réalisateurs et des scénaristes échangent leurs idées environ huit jours avant que la production de l’épisode ne débute, mais, même lorsqu’il était réalisateur indépendant, Yaitanes était en contact avec eux plusieurs semaines avant.

Lerner se souvient ainsi que sur Help Me, « Greg a trouvé des photos de lieux secourus et d’immeubles effondrés et les a accrochées sur tous les murs du bureau afin d’en faire des éléments de référence. Et cela s’est produit avant même qu’un script ne soit écrit, ce qui est particulièrement étonnant. Le décor d’immeuble effondré était de loin le plateau le plus incroyable que j’aie vu à la télévision ».

Friend explique qu’un processus similaire a été à l’œuvre dans Nobody’s fault. « Greg était très excité par la scène d’interrogatoire depuis des semaine. Cette chorégraphie extrêmement compliquée avec Hugh se cachant sous la table, Peter, Odette et Charlyne se cachant derrière tout ce qui pouvait les dissimuler… je me suis dit « Dieu merci, c’est Greg qui réalise cet épisode !  » »

 

Peut-être la fin

Et aujourd’hui, toutes ces façons innovantes de raconter des histoires pourraient bien se terminer [la série faisant toujours l’objet de discussions entre NBC Universal et la Fox]. Lorsqu’on lui demande pourquoi il n’envisage pas de diriger le dernier épisode de la saison, alors qu’il l’a fait durant les trois saisons précédentes, Yaitanes explique, avec émotion et trouble, que c’est au créateur de la série, David Shore, que devrait revenir l’honneur de mettre fin à l’aventure comme il le souhaite.

Pensif, il ajoute : « je n’aurais jamais imaginé, lorsque j’ai tourné le cinquième épisode de la première saison, que cette série deviendrait la chose la plus importante dans ma carrière. Remporter un Emmy fut un énorme honneur. Voir des collègues remporter des Emmy et d’autres récompenses fut également un grand honneur. Cette équipe est de la race des purs-sangs. C’est un sentiment doux-amer que d’imaginer que cette saison puisse être la dernière. Cette série a été une part très importante de ma vie et, d’un point de vue créatif, c’est là que j’ai pu faire tout ce que j’avais toujours rêvé de faire ».

 

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