Comme évoqué dans le premier chapitre consacré à la famille, dans Dr House les relations familiales semblent inévitablement aller de pair avec une notion de lutte et de résistance. Se dresser contre la fatalité et refuser le destin qui leur est offert, tel est en effet le choix fait par Thirteen et Foreman. Mais, pour d’autres personnages, le combat n’est pas celui contre un milieu social ou contre une maladie héréditaire : pour Chase et pour House la question de la famille se cristallise autour de la figure du père. Chacun des deux personnages expérimente en effet un rapport particulier à la figure paternelle qui semble exercer un étrange pouvoir de répulsion et de fascination.

Le meurtre du père

La relation entre Chase et son père fait apparaître ce dernier comme une figure absente et fuyante. Le fils apparaît alors en quête d’un lien filial insaisissable. La relation entre House et son père se bâtit quant à elle sur un rapport d’opposition, une lutte sans merci pour exister.

La figure du père est pour Chase une absence. Parti lorsque son fils était âgé de 15 ans, Rowan s’est en effet destitué de ses responsabilités de mari et de père, obligeant Chase à s’occuper de sa mère et à endosser un rôle qui n’était pas le sien. La figure du père apparaît dès lors comme un être délétère, échappant à ses obligations et semant le malheur dans sa fuite. Pourtant, la figure paternelle semble conserver une certaine emprise sur le fils, importance renforcée par le décès de la mère qui fait du père le seul référent familial. On apprend ainsi que le métier de médecin n’a rien d’une vocation pour Chase, son père l’y ayant forcé (Damned if you do). Le paradoxe est double : le fils accepte de marcher sur les traces de ce père qu’il hait tant, et ce père qui a choisi de fuir son fils fait en sorte que celui-ci lui ressemble.

La situation dans son ensemble fait preuve d’une ironie douloureuse : Rowan fut un père absent qui cessa de s’occuper de son fils, mais c’est pourtant grâce à lui, médecin célèbre, que Chase fut engagé par House (Les symptômes de Rebecca Adler). Pantin aux mains d’un père pygmalion, Chase ne semble ainsi jamais être en mesure de choisir sa vie : de son adolescence gâchée à sa carrière médicale prometteuse, toute sa vie semble régie par cette figure paternelle puissante et pourtant absente. Cette incapacité à se détacher complètement de l’influence du père révèle la persistance d’un lien que Chase se refuse à abandonner. Figure de l’orphelin, il ne peut renoncer à l’espoir de réconciliation avec le père retrouvé (Cursed). Mais cette quête est vaine, le père sait qu’il est trop tard pour rebâtir une relation. A l’invitation de Chase, Rowan n’a donc que la fuite à offrir ; le fils n’aura d’autre choix que de se résigner.

Pour House, le père est un personnage haï, non en raison de son absence mais, au contraire, de son omniprésence. Ce sentiment de haine apparaît comme l’inévitable conséquence d’une relation placée sous le signe de la confrontation. Figure autoritaire, John House incarne, par son métier même de militaire, la droiture dans tout ce qu’elle a de plus radical. L’entité paternelle se trouve dès lors amputée de sa fonction de guide et se mue en éducateur tyrannique. Ce rapport de domination va d’ailleurs jusqu’à s’incarner dans une maltraitance physique qui achève de souiller le lien filial (One Day, One Room). Dans cette relation brutale entre House et son père, l’amour n’a pas sa place, seule compte la discipline.

Ce contexte familial douloureux n’est pas un simple élément de décor et révèle son importance dès lors que l’on  analyse le caractère de House à travers le prisme de ce conflit père-fils.

Le sentiment d’oppression expérimenté par House durant toute son enfance ne pouvait avoir que deux issues : une soumission complète et absolue ou, au contraire, un refus total des règles imposées. C’est cette dernière option qui semble avoir eu sa préférence. Cette lutte père-fils convoque inévitablement la figure mythique d’Œdipe mais en réalité il ne s’agit pas de conquérir l’amour de la mère, figure aimante mais impuissante réduite ici à un rôle de spectateur. L’enjeu est bien plus important : se battre pour exister. Incapable de satisfaire les désirs du père, le fils choisit de se dresser contre celui qu’il perçoit comme un oppresseur.

Ses chemises froissées, ses joues mal rasées, son comportement puéril et incontrôlable s’interprètent aisément comme les signes d’un rejet de l’ordre établi et, dès lors, une rejet de la figure paternelle liberticide. Devenu adulte, House agit comme un gamin capricieux justement parce qu’il n’a jamais pu en être un ; comme si l’on pouvait rattraper le temps perdu, récupérer un peu de son enfance volée. De sa dégaine à son mode de vie, House incarne le fils révolté dans ce qu’il a de plus extrême, construisant son identité sur des valeurs en tous points contraires à celles qu’on a tenté de lui inculquer. Et même sa conviction la plus profonde, ce credo qu’il affectionne tant – “Everybody lies” – semble n’être qu’une provocation de plus adressé à ce père intransigeant qu’il décrit en ces termes à Cameron : “My dad’s just like you […] : the insane moral compass that won’t let you lie to anybody about anything” (Mon père est comme vous : ce stupide compas moral qui vous empêche de mentir à quiconque) (Daddy’s boy). La philosophie du mensonge contre l’exigence de vérité, le fils contre le père…

On pourrait penser que la mort de John House ou Rowan Chase marquerait la fin de la lutte, comme si le fils avait enfin tué le père. Mais les ennemis continuent à livrer bataille, la figure paternelle devient un fantôme qui tourmente le fils.

Abandonné par son père, Chase l’est encore même après la mort de ce dernier. Rowan l’a en effet déshérité, le rayant de son testament (Finding Judas). Un tel geste apparaît comme une entreprise de négation totale et définitive du lien familial, comme si le père abandonnait définitivement le fils et s’en détachait à tout jamais. Rowan est allé jusqu’au bout de sa logique, celle de la fuite et, dès lors, Chase n’a d’autre choix que de regarder s’éloigner davantage encore ce père qui n’a eu de cesse de lui échapper.

L’ultime rendez-vous entre House et son père obéit à une logique opposée car ici ce n’est pas de fuite ou d’abandon dont il est question mais d’un combat acharné et incessant. House ne peut ainsi s’empêcher de faire des funérailles de son père le terrain d’un ultime affrontement. L’oraison funèbre se transforme en règlement de comptes (Birthmarks). “ Maybe if he’d been a better father, I’d be a better son. But I am what I am because of him, for better or for worse.” (Peut-être que s’il avait été un meilleur père, j’aurais été un meilleur fils. Mais je suis ce que je suis à cause de lui, pour le meilleur et pour le pire). Cette phrase, qui résonne comme une épitaphe amère, résume à elle seule la lutte qui s’est jouée : agissant comme un repère négatif, un repoussoir, le père a marqué le fils au plus profond de son être. Ironie du sort, c’est donc à ce père avec qui il ne partage rien, dont il n’est même pas le fils biologique, que House doit d’être qui il est.

“The war is over” (La guerre est finie) affirme Blythe House à son fils. Mais il semblerait que certaines guerres ne cessent jamais, sans doute parce qu’il n’y a pas de vainqueur possible… Ou bien peut-être les personnages ont-il simplement besoin d’aller jusqu’au bout du combat qui les oppose à leurs familles, à leur héritage, pour enfin accepter qu’il est vain de lutter et ouvrir ainsi la voie à un éventuel apaisement…

A suivre…

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